Découverte de l'amnésie : 16 ans.Yu Feng se réveillait une fois de plus dans cette chambre sombre, presque glaciale, impersonnelle. Pourtant, ce dortoir avait été durant ses cinq précédentes années, son lieu d'apaisement, son antre fraternel, son refuge... Son cœur palpitait douloureusement face à cette évidence qui le rongeait chaque jour un peu plus lorsqu'il se réveillait le matin. Tout lui était étranger. Rien ne lui paraissait réel. Cette vie de sorcier, cette école et cette tragédie qui l'avait rendu ainsi… Il avait perdu la mémoire suite à une étrange rencontre qui s'était mal passée. Du moins, c'était la théorie qu'on lui avait placardé sur la tronche. Il n'avait plus le moindre souvenir de son passé. Plus la moindre empathie envers qui que ce soit. Des individus dont il ne connaissait pas l'existence s'avançaient régulièrement vers lui et prétendaient être ses amis, sa famille… Yu Feng avait tout simplement l'impression d'être venu au monde à seize ans. Et le plus perturbant dans cette histoire, c'était qu'il avait la réelle impression qu'on lui cachait quelque chose d'important à son sujet.
Ce matin encore, le jeune homme s'extirpa de son lit, sans la moindre motivation. Les bras ballants le long de son corps, son regard balaya l'ensemble de ces quatre murs qui l'abritait et qui lui offrait un sentiment d'inconfort. Ses camarades dormaient encore à point fermé. Lui, il n'avait pas la moindre idée de ce qu'était de faire une nuit complète. Chaque jour un peu plus, il se surprenait à découvrir l'être humain qu'il avait été. Un balai de course dont il était supposément le propriétaire, avait été déposé le long de son bureau d'étude. Était-il une vedette de son équipe de quidditch ? Il n'en avait pas la moindre idée. Pourtant, un sentiment grandissant de reconnaissance et de gloire réchauffait son être et lui donnait du baume au cœur. Il retrouvait encore de temps à autre des partitions de musiques et des chansons qu'il aurait de toute évidence composé. Lorsqu'il avait eu le désarroi de demander à sa propre mère quel genre de personne il était, cette dernière avait émis un petit rire crispé avant de lui affirmer avec un sourire qu'il avait toujours été un garçon droit, généreux, et doté d'une âme d'artiste. Le genre de personne qui ne semblait pas faire d'histoire… Et véridiquement, il avait le sentiment qu'aucun de ses présumés proches ne daignaient l'éclairer sur ce qu'il avait été dans le passé.
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Parfois, il avait le sentiment que l'univers tout entier se foutait de sa gueule. Parfois était un euphémisme.
Combien de temps s'était écoulé depuis l'accident ? Deux, peut-être trois mois… Il n'en était même plus sur. Il n'avait jamais aucune affirmation exacte. On lui disait sans arrêt qu'il n'avait pas à s'en faire. Qu'il devait juste récupérer et profiter de la vie… Les choses reviendraient rapidement à la normale. Il n'était pourtant pas à l’affût du moindre détail, mais il y avait certaines choses qui l'exaspérait au plus haut point. Le plus frustrant était qu'il ne se connaissait pas lui-même.
Cela faisait une demi-heure qu'il attendait à l'extérieur du château, l'arrivée de sa supposée comparse suryeon. Une demi-heure durant lequel il fit les cents pas avant de venir s'adosser, complètement blasé, contre l'angle d'un mur. Cet endroit, il l'avait fréquenté. Cet endroit regorgeait de personnes qu'il avait connu. Il n'en doutait plus après les nombreux regards des sorciers qui quittaient l'enseigne. Des messes basses, des profils bas, des regards éberlués. Le tout en l'espace d'une malheureuse demi-heure qui commençait à lui taper sur le système. Yu Feng se découvrait très clairement impatient, pour ne pas dire impulsif. Il était même certain que cela se lisait sur son visage. Visiblement, il ne semblait pas très doué pour cacher ses émotions. S'il y avait une chose qu'il pouvait bien croire de sa mère, c'était son hypersensibilité. Un défaut qu'il allait devoir apprendre à canaliser s'il ne voulait pas se laisser submerger par ses émotions… Il ignorait bien évidemment la façon dont il agirait en cas de crise. L'énervement était un sentiment humain des plus communs. Sauf que jusqu'à présent, il ne s'était jamais emporté. Cela avait déjà failli mais très étrangement, sa famille finissait toujours par lui laisser le dernier mot comme pour éviter la scène. A vrai dire, il se sentait capable d'égorger un enfant à la moindre contrariété. Du moins, en pensée. A l'heure actuelle, il maudissait davantage cette amie qui le faisait poireauter comme un imbécile devant les grandes portes de ostara. Il râlait et pestait après chaque malheureux qui avait le malheur de le dévisager. En son fort intérieur, il avait presque envie de leur hurler dessus pour qu'ils cessent ainsi de le tourmenter. Tous semblaient le reconnaître, mais aucun ne faisaient l'effort d'aller clairement vers lui. Il n'allait pas le faire à leur place, puisqu'il ne se souvenait pas de leurs tronches !
Dans un soupir las, sa main vint sauvagement parcourir sa nuque dans mouvement brusque. Exaspéré au plus possible, son impulsivité gagna sur tout le reste, et il alla à la rencontre d'un groupe de jeunes filles qui attendaient non loin de lui. Sans la moindre gêne, il en attrapa une par l'épaule et la tourna vers lui. «
Yah. Je vous vois vous marrer depuis tout à l'heure. C'est quoi le soucis ? » Cette dernière, complètement apeurée, affirma ne pas le connaître, manquant presque de tomber à la renverse tant elle se débattit de son emprise. La voir agir ainsi le choqua tout autant que sa propre attitude du point de vue des passants. Une silhouette parmi les autres se détacha de la masse, et un jeune homme aux cheveux d'un noir de jais s’immisça entre eux, comme si de rien n'était. «
Hé, tu serais pas un peu paranoïaque ? Ou bien la mémoire te reviendrait tout à coup ? » Simple provocation. Yu Feng se demanda tout de même ce qu'il sous-entendait par-là. Il avait un regard noir et à la fois narquois. Maintenant qu'il le regardait d'un peu plus près, il se souvenait l'avoir déjà croisé à plusieurs reprises. Il avait toujours cette même expression. Ce même regard. Peut-être devenait-il parano, effectivement. Mais il était au moins certain que ce type-là savait quelque chose sur lui. En tout cas, il était au courant pour son amnésie. «
On se connaît ? » ajouta simplement Yu Feng sur un ton froid. Ce dernier eut un sourire de travers au moment où il se recula d'une démarche nonchalante. «
Non je crois pas. Non… » Une fois de plus, le chinois sentit de la provocation dans sa voix. Un sentiment familier le poussa à craquer ses phalanges et à ressortir sa baguette de sa poche. Il n'était pas bien réfléchit, mais il se sentait d'une force implacable lorsqu'il était mis à bout. Par chance, la voix de son amie résonna au loin derrière eux, et cette dernière dévala à toute vitesse dans leur direction, au point que son petit corps heurta littéralement celui de Yu Feng. Il avait instinctivement ouvert ses bras pour la réceptionner. Pendant une fraction de seconde, les deux semblèrent s'échanger une étreinte sous le regard ébahis des témoins aux alentours. Il n'y avait pas d'incompréhension entre eux. Juste un regard réprobateur, presque résignée. Elle se tourna vers le second jeune homme qu'elle semblait manifestement connaître aussi. «
T'étais obligé de faire ça ? » - «
De faire quoi ? » répliqua ce dernier, médusé. «
C'est lui qui a agressé ces filles ! » Yu Feng voyait à nouveau le regard autoritaire de son amie revenir vers lui. Il n'avait pas d'excuse, certes. Mais c'était aussi de sa faute s'il avait perdu patience… «
J'ai agressé personne. J'ai juste cru… Enfin bref, je m'excuse. C'était un malentendu ok ? » Très honnêtement, il n'avait pas envie de se justifier. Il avait peut-être manqué de tact, mais c'était elle qui s'était excitée comme une furie avant même de faire quoi que ce soit. «
Allons-y Nayoung, je t'expliquerai. » Sa dernière déclaration fit arquer les sourcils de son opposant. De toute évidence il ne semblait pas au courant de tout, lui non plus… Comme ça, ils étaient deux et il espérait maintenant que cette dernière l'éclairait un peu sur ce qu'il venait de se passer.
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«
Mais bon sang à quoi tu pensais Duan ? » Il se faisait réprimander depuis qu'ils avaient quitté l'entrée du château. Si le trajet jusqu'au Magical Street s'était fait silencieux, il n'en était plus de même maintenant qu'ils avaient gagné les portes du Gobge Cupcake. Na Young appartenait à la même maison. Ils avaient pratiquement le même âge mais n'appartenaient pas à la même classe. Mais dès le premier jour, elle s'était présentée à lui comme l'une de ses plus proches alliée. Plus délurée et gamine qu'elle, Yu Feng ne connaissait pas… Ce qui avait le don de parfois le fatiguer. Paradoxalement à ça, la petite semblait s'en amuser, sauf que cette fois là, elle n'avait pas franchement envie de rire. Au moment où ils prirent place pour commander leurs boissons, cette dernière le fixa avec une intensité qui lui fit froid dans le dos. «
Na Young, je sais que tu m'en veux… Je sais pas trop ce qui m'a pris mais essaye de comprendre. Je suis pas stupide. Je le vois dans le regard des autres. Tout le monde m'évite. Ces filles... c'est à peine si elles osaient me regarder ! Et ce mec me détestait. Me fait pas croire que ça date d'aujourd'hui ! » Yu Feng était devenu très observateur à force de côtoyer les regards fuyants. Lorsque Na Young se mordillait la lèvre, cela voulait toujours dire qu'il avait raison. Et il avait raison. «
J'aimerai t'aider Yu Feng… J'essaye aussi d'en savoir un peu plus. Mais tu sais très bien que l'on ne s'est jamais parlé avant l'accident. Je ne sais pas quelle pourriture tu as pu être. » En temps normal, elle pesait ses mots. Comme à peu près tout le monde. Mais là, elle venait de confirmer sa plus grande crainte. Comme un poignard transpercé en plein cœur, le jeune homme ressentit le besoin s'asseoir et il se laissa retomber contre le mur. Plus conciliante, cette dernière le rejoignit dans l'entrée et s'installa à ses côtés avant de se saisir de sa main. «
Ne t'en fais pas. Mon instinct me dit que ce n'est plus le cas maintenant. » Elle avait parfois une drôle de manière de lui remonter le moral, mais ne soulevant pas la chose, le coréen se contenta de grimacer et d'abaisser la tête. Il n'était plus tellement certain d'en entendre davantage. «
Pourquoi est-ce que tout le monde me le cache ? » Il pensait directement à sa mère. Elle qui s'évertuait à lui rabâcher qu'il était quelqu'un de bien. Était-ce ce qu'elle aurait voulu qu'il soit ? «
Je pense qu'ils agissent comme ça pour ton bien… Tu sais, on fait tous des erreurs dans la vie… L'erreur est humaine. » En l'écoutant parler, il ne put s'empêcher de rire. Ouais, elle était surtout moldu ! Quelle erreur avait-il pu commettre pour qu'on le déteste à ce point ? Il ne comprenait pas. «
Na Young si tu sais quelque chose que j'ignore, dis-le moi. Je suis assez grand pour encaisser. Dis-moi tout. » Il y avait forcément des choses qu'elle ne lui avait pas encore dite. A commencer par ce type qui l'avait provoqué et qu'elle connaissait. Et cet accident qui lui valait son état amnésique, n'était-il qu'un accident ? Elle avait attendu qu'on leur serve leurs bierrabeure avant de reprendre la parole, dans un soupir aussi long qu'angoissant. «
Je ne t'ai pas connu avant l'accident. » reprit-elle dans une intonation grave. «
Je ne saurai sûrement jamais ce qui est arrivé ce soir-là… Mais je sais par contre que tu n'étais pas tout seul. Il y avait quelqu'un d'autre. » Cette révélation l'immobilisa sur place. Comment avait-on pu lui cacher un pareil détail depuis tout ce temps. Même le directeur et les professeurs ne lui avaient rien dis. «
Qui ça ? Qui d'autre était avec moi ? Est-ce que cette personne va bien ? » Cela faisait beaucoup d'interrogations pour une même réponse mais les mots fusaient à la même vitesse que dans sa tête. Il était à la fois troublé et contrarié qu'on le lui ait caché une telle chose. «
Oui, j'imagine que cette personne n'ira que mieux là où elle est. » répondit-elle vaguement. «
Comment ça ? Où est t-elle ? » Elle semblait presque consternée qu'il ne comprenne pas. «
Duan, cette personne est morte. » dévoila t-elle plus sèchement.
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Duan Yu Feng : le présent & l'avenir.De l'eau a coulé sous les ponts depuis l'instant où il a découvert la vérité. Ou tout du moins, une partie de la vérité. Au jour d'aujourd'hui Yu Feng approche de son 24ème anniversaire et il est devenu surveillant à Ostara. Il a découvert à force de patience et d'observation qu'il fut durant ses plus jeunes années à l'école de magie, un attrapeur vedette au sein de sa maison, mais qu'il a peu à peu commencé à prendre la grosse tête, en quête de gloire et de succès. Son arrogance a poussé les membres de son équipe à le dispenser de son titre officiel, et à la suite de cela, il aurait commencé à mal tourner. Beaucoup de rumeurs continuent à circuler. La plupart disent que c'est la faute à certains élèves de la maison verte s'il a progressivement changé. D'autres pensent qu'il a toujours eu en lui cette part avare et démesurée et que le choixpeau magique s'était trompé le jour de la répartition. Le plus grand mystère réside en la nature de cette élève décédée, toujours sujet aux plus grandes controverses. Yu Feng n'avait pas tardé à découvrir qu'il s'agissait de son ancienne petite-amie. Beaucoup pensent qu'elle est morte par sa faute, mais aucune preuve concrète l'inculpant, l'école avait décidé de clôturer l'affaire comme étant un triste incident. Si aujourd'hui cette histoire semble enterrée six pieds sous terre, Yu Feng n'oublie pas. Il se refuse à oublier ce qui est arrivé ce soir-là puisqu'il se sent coupable de cette mort. Peut-être s'était-elle sacrifiée pour lui ? Ou peut-être l'a t-il tout droit conduit à la mort ? Il n'en a pas la moindre idée, mais il ne baisse pas les bras, certain que ce maléfice le quittera tôt ou tard et qu'il récupéra ses souvenirs. Depuis lors, il note toutes les choses qu'il juge importants dans un carnet. Il déteste ce sentiment frustrant qui le coupe de la réalité et se refuse à oublier quoi que ce soit. Si le Yu Feng du passé reste une ardoise sombre de son existence, il a tourné la page sur ce qu'il avait bien pu être. Le passé appartement au passé, grâce à ses nouveaux amis et à ses nouvelles convictions, les gens reconnaissent aujourd'hui Yu Feng comme étant un véritable casse-cou, volontaire et courageux. Il cache la plupart de ses craintes derrière un large sourire et se fait passer pour plus je m'en foutisme qu'il ne l'est en réalité. Très attaché à ses proches, il ne supporterait pas de les perdre un jour et s'efforce d'aborder une attitude positive, à la limite de la connerie. Même si une part de lui recherche toujours une certaine reconnaissance, il se refuse à toucher de nouveau à un balais, craignant que le schéma ne se répète. Son âme de leader le pousse trop souvent à prendre des initiatives pouvant le mettre en danger. Non pas seulement pour protéger les autres, mais aussi parce qu'il aime cette prise de risque. Peu de chose lui font réellement peur mis à part son propre passé trouble qui le tourmente, et cet épouvantard qu'il ne parvient pas toujours à vaincre. Son hypersensibilité est pour lui une réelle faiblesse. Et quand les émotions le submerge, sa baguette refuse catégoriquement de lui obéir ! Il travaille énormément sur ça et s'efforce de paraître fort… bien qu'en vérité, il a peur de ce que l'avenir lui réserve. Son passé l'effraie tout comme son avenir.